Rabat –le12

Dans une ère contemporaine impitoyable, marquée par la vitesse, la froideur et la prédominance technologique, l’unité familiale souffre en permanence. Les parents, tiraillés entre carrières qui s’accaparent une grande partie de leur journée et contraintes du quotidien se retrouvent face à un dilemme atroce : comment être attentionné et affectif, en fin de journée, pour subvenir aux besoins de leur progéniture?
Indépendamment de leur statut, qu’ils soient ingénieurs, professeurs ou ouvriers, les parents, vidés et esquintés, sont non seulement à court d’idée mais aussi en manque d’énergie pour nourrir la curiosité de leurs enfants. Impuissants et désemparés, ils font appel aux gadgets électroniques pour combler ce vide et avoir un moment de paix.
Télévisions, iPhone, tablettes, jeux vidéos… les écrans ne manquent pas au rendez-vous. Ils offrent un divertissement illimité ponctué non seulement de comptines et de dessins animés, mais aussi de spots publicitaires et de contenu inapproprié qui échappe parfois au contrôle parental. Ces appareils représentent un univers magique, un mélange séduisant qui réunit couleurs, images et sons, et peut attirer les enfants dès leur première année, voire moins.
En même temps, cette technologie moderne, qui mise sur la rapidité et la productivité d’une matrice commerciale purement mercantile, s’avère être nocive pour les enfants de moins de trois ans qui sont dans l’incapacité d’assimiler l’enchaînement logique d’images en mouvement continu.
En effet, plusieurs rapports et recherches scientifiques ont démontré l’impact néfaste d’une surexposition des tout-petits, et surtout des bébés, sur leur éveil ainsi que sur leur développement cognitif, psychomoteur et émotionnel, entrainant des déficits d’attention et même des troubles apparentés à l’autisme. Des études internationales récentes ont même révélé une corrélation assez importante entre le retard dans l’apprentissage du langage et le temps passé devant un écran.
Les professionnels de la santé ont déjà tiré la sonnette d’alarme devant l’amplitude de ce phénomène nuisible. Dr. Aasmae Boumediane, médecin psychothérapeute et spécialiste de la petite enfance, affirme que les enfants en bas âge ont besoin de développer l’ensemble de leurs sens aux côtés de leurs parents et fratrie afin qu’ils puissent s’identifier et tisser des liens avec leur entourage.
«Une surexposition des enfants aux écrans impacte d’une manière conséquente non seulement leur développement psychomoteur et cérébral, avec des séquelles telles que les troubles d’attention, du langage et du sommeil, mais aussi leur développement relationnel à cause du manque d’interaction avec les parents», insiste Dr. Boumediane.
Approchée par la MAP, Hafsa, mère au foyer, qui semblait être réticente à se confier, passe aux aveux. «Le petit Adam ne veut plus sortir jouer dehors. Il refuse même de prendre son biberon s’il n’est pas bien installé devant la télévision. Mes corvées ménagères interminables me poussent à fermer les yeux sur cette situation malsaine».
Même son de cloche chez Maria, une maman qui se plaint du comportement addictive de sa fille âgée de 4 ans, devenue inséparable de sa tablette. Maria estime que l’absence maternelle est la cause principale derrière cette conduite anormale.
«Je travaille à l’intérieur et à l’extérieur de la maison, c’est un mode de vie infernal, je suis tout à fait épuisée et puis il n’y a pas d’autres moyens pour l’occuper, elle se lasse vite des jouets» se défend cette jeune maman, avant d’avouer, d’une voix indicative de culpabilité, que ce qui la dérange le plus c’est la violence disproportionnée de sa fille qui imite les dessins animés diffusés en boucle.
C’est normal. L’enfant devient hypnotisé par un contenu qui exerce une hyper stimulation visuelle et auditive bien supérieure au monde réel, et risque par la suite de confondre la réalité avec le virtuel, explique Dr. Boumediane dans une déclaration à la MAP.
Pour remédier à cette situation, Dr. Boumediane propose aux parents de commencer par éteindre leurs propres téléphones et inviter les enfants à jouer, expérimenter et trouver du plaisir dans d’autres activités, ajoutant qu’il est primordial que l’enfant sorte, interagisse avec son environnement, se salisse et même qu’il s’ennuie afin de réaliser un développement socio-cognitif équilibré.
Les professionnels de la santé, en l’occurrence les psychomotriciens, recommandent plusieurs pistes pour soutenir et accompagner les enfants accros aux écrans. Il s’agit notamment d’introduire des activités parallèles ciblant la motricité fine qui reste sous-développée à cause des écrans. Coloriage, découpage, pâte à modeler … tout l’arsenal doit être mis à la disposition des enfants pour stimuler les mouvements manuels.
Aussi, ces experts sont catégoriques et unanimes sur un point : les enfants doivent passer plus de temps dehors. Parcs de jeux, jardins, salles de sports, sorties en plein air… les lieux et structures de loisirs n’en manquent pas ! Il faut juste bien s’organiser et arrêter de vivre dans cette insouciance désastreuse. Certes, les écrans peuvent contribuer aux apprentissages de la petite enfance, mais à quel prix ?