Casablanca – le12
Partenaire privilégié des dirigeants, l’expert-comptable (EC), de par sa formation, son expérience et son sens de l’écoute, répond aux différents besoins de l’entreprise. Son appartenance à l’Ordre des Experts-Comptables (OEC) se veut une garantie de compétence, de qualité et de confidentialité.
Dès le déclenchement de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, les experts-comptables se sont posés en première ligne pour accompagner les chefs d’entreprises à bien gérer les contraintes et mettre en place une organisation agile et adaptée.
Dans une interview accordée à la MAP, Amine Baakili, président du Conseil national de l’OEC met en lumière les réponses apportées par la profession dans ce contexte singulier de crise et présente sa perception quant à l’entreprise post-Covid.
– Quels sont les défis auxquels le métier de l’expertise-comptable a dû faire face durant cette crise inédite ?
Les défis pour les cabinets d’expertise-comptable ont été sur deux niveaux. D’une part, il a fallu comme beaucoup d’entreprises au Maroc changer radicalement leurs manières de travailler, pour s’adapter massivement au distanciel. De l’autre, les experts-comptables sont en première ligne pour aider les organisations et les dirigeants en cette période de crise.
Bien évidemment, quelques cabinets ont été avantagés lors du passage au télétravail du moment que certains de leurs process étaient déjà digitalisés. Notamment, par l’utilisation des outils d’audit numériques et de gestion électronique des documents. Dans l’urgence, tous les cabinets se sont pliés à cette transition numérique pour sensibiliser et former leurs collaborateurs, mais également leurs clients qui sont en grande partie des TPE et PME. Parfois certains éléments qui semblent être des détails en temps normal, prennent des proportions plus compliquées à distance. Et les problèmes se multiplient autant que le nombre de collaborateurs à gérer, sans compter les contraintes personnelles et/ou techniques.
Notre principale mission, en tant qu’experts-comptables, est d’assister les entreprises. Une grande partie d’entre elles s’est retrouvée en difficulté. Depuis le début de la crise sanitaire, beaucoup de commerces ont fermé, d’autres enregistrent une baisse importante d’activité ou risquent de déposer le bilan. Les mesures gouvernementales pour leur venir en aide, notamment le report des échéances fiscales et sociales et le recours au chômage partiel, n’ont fait dans certains cas que repousser l’inéluctable. Cette situation a représenté à la fois un énorme défi et une réelle occasion pour les experts-comptables, pour apporter leur aide aux entreprises dans l’optimisation de leur gestion tout en assurant un fonctionnement interne efficace. L’objectif étant d’accompagner les chefs d’entreprises à bien gérer les contraintes générées et mettre en place une organisation agile et adaptée pour assurer la continuité de leurs activités et de les accompagner lors de la phase post-crise afin d’évaluer l’incidence de la crise et analyser les impacts sur leurs activités, organisations et sur les relations avec les tiers (fournisseurs, banques, Etat).
– Comment l’expert-comptable a accompagné les entreprises impactées par la crise comme allié privilégié ?
Le rôle d’allié privilégié du chef d’entreprise a toujours été endossé par l’expert-comptable, bien avant la crise sanitaire. En tant que conseiller de proximité, il l’assiste depuis la genèse du projet de création jusqu’à sa transmission. Son appartenance à l’Ordre des Experts-Comptables est une garantie de compétence, de qualité et de confidentialité.
Durant cette situation exceptionnelle de pandémie liée au COVID-19, le fonctionnement des entreprises a été affecté à différents degrés pendant le confinement : fermetures, limitations d’activités, réorganisations… La reprise progressive d’activité vers une situation stabilisée pose de nombreuses questions et demande une préparation facilitant les conditions de succès, tant pour l’atteinte des objectifs de production de l’entreprise que pour la préservation de la santé et la sécurité des salariés.
Les experts-comptables demeurent les personnes de confiance des chefs d’entreprises et notre proximité avec les dirigeants fait de nous des partenaires privilégiés qui devront jouer un rôle important auprès des entreprises, surtout les PME-PMI.
La première mission de l’expert-comptable étant d’accompagner les chefs d’entreprises à réfléchir sur la façon de rebondir, cela a permis d’identifier d’abord les sources des problèmes. Car après cette pandémie, la quasi majorité du tissu économique souffrira de problèmes liées au manque de confiance, de liquidités et d’orientation stratégique. Sans oublier le rôle des experts comptables quant à l’accompagnement des entreprises à tenir leurs engagements par rapport aux déclarations comptables, fiscales et sociales et à leurs contrôles.
A ce niveau, les experts comptables ont apporté leur soutien notamment :
– Au niveau du cash management pour résoudre les problèmes liés à la gestion de trésorerie.
– Au niveau de la transformation digitale dont le but est d’intégrer les nouvelles technologies numériques au sein des entreprises, notamment le travail à distance. L’EC a proposé son assistance quant au choix des solutions et à leur efficacité et rentabilité et surtout pour sécuriser les risques de cybercriminalité.
– L’EC a assisté les entreprises dans leurs arbitrages, leurs choix en matière de stratégie et bien sûr dans la mise en œuvre opérationnelle de leurs décisions.
– L’EC aura un rôle à jouer également au niveau des opérations de restructuration qui vont accompagner certainement cette pandémie.
La mission de l’expert-comptable ne se limite pas à la comptabilité et/ou la certification des comptes. Il est également compétent dans les domaines du droit comptable, des sociétés, juridique et fiscal, et aide le chef d’entreprise à trouver les meilleures solutions juridiques et fiscales dans le cadre des missions qui lui sont confiées. De ce fait, il assiste l’entreprise dans sa gestion fiscale pour faire le point sur la stratégie y afférente et proposer des solutions de nature à optimiser la charge fiscale, dans le respect de la réglementation en vigueur. Il supervise les déclarations, vérifie leur conformité et s’assure que l’entreprise n’est pas exposé à des risques fiscaux qu’elle n’a pas identifiés. Il peut aussi conseiller et élaborer des actes juridiques intéressant la vie des sociétés.
– Quel regard portez-vous sur les principales mesures initiées en vue de soutenir et accompagner les entreprises impactées par la crise ?
Pour faire face aux conséquences de la crise, le gouvernement marocain a mis en place plusieurs mesures d’accompagnement.
L’Ordre des Experts-Comptables a été intégré dans la réflexion et la mise en place des programmes d’appui et de financement des entreprises. Nous avons émis des avis et directives pour clarifier davantage l’incidence de la pandémie sur les comptes et sur les missions des experts comptables.
De cette manière les cabinets peuvent se tenir à disposition des entreprises par leur conseil avisé et les soutenir à mieux déployer tout ce dispositif d’appui. Les cabinets d’expertise comptable ont été énormément sollicités pendant cette période critique par les chefs d’entreprise et ont démontré leurs forte mobilisation et engagement.
La profession a montré en ces moments ces grandes capacités de résilience. Nous avons accompagné nos clients depuis le début de l’état d’alerte sanitaire. Nous avons conseillé nos clients de respecter les échéances fiscales pour participer au soutien de notre pays en ces moments difficiles (même les inf à 20 MMAD).
– Quel est votre avis sur l’élan de solidarité constaté durant cette période marquée par la propagation de la pandémie ?
Depuis le début de la crise sanitaire, les élans de solidarité ont été multiples. La mobilisation rapide de nombreuses entreprises et d’acteurs individuels au Maroc est une fierté, avant tout, et un acte de civisme qui marquera l’histoire. En tant qu’institution citoyenne, l’Ordre des Experts-Comptables a également contribué à cet élan collectif de solidarité et nos membres ont mobilisé leurs ressources tant matérielles qu’humaines pour venir en aide aux plus « défavorisés ».
La crise a malheureusement touché de plein fouet les structures les plus « faibles ». La suspension de l’activité du secteur informel, notamment, a aggravé la situation des ménages ayant perdu leurs sources de revenus. Grâce au fonds spécial Covid, les journaliers, vendeurs ambulants, artisans, ou le personnel de maison ont bénéficié de l’aide du régime d’assistance médicale (Ramed) pendant trois mois. Mais cette problématique de l’informel nécessite des solutions plus pérennes dont la mise en place sera probablement accélérée à cause de (ou grâce à) la crise sanitaire.
– L’Ordre en chiffres ? Quelle représentativité féminine ?
Avec plus de 25 ans au service de l’économie et de l’intérêt public, l’Ordre des Experts-Comptables compte porter les objectifs nationaux en tant que régulateur et partenaire institutionnel des pouvoirs publics sur différents chantiers structurants. En effet, l’Ordre est partenaire de toutes les institutions nationales, participe systématiquement à la rédaction des textes et lois, et apporte un véritable support dans les diverses réformes qui touchent le domaine économique en général et les entreprises en particulier.
Il est également membre de plusieurs organisations internationales telles que :
– L’IFAC (International Federation of Accountants) : l’Ordre assure la fonction de vice-présidence ;
– La FIDEF (Fédération Internationale des Experts comptables et commissaires aux comptes Francophones) : l’Ordre a assuré la présidence deux fois ;
– La FCM (Fédération des Experts-Comptables Méditerranéens) : l’Ordre a assuré la présidence une fois ;
– La PAFA (Pan African Federation of Accountants) : l’Ordre a assuré la présidence une fois ;
– L’ACCA (the Association of Chartered Certified Accountants), etc.
Fort de la technicité et des compétences pluridisciplinaires de ses 700 membres environ, l’Ordre aspire à dynamiser les débats, éclairer les dirigeants et contribuer à implémenter les actions appropriées. Il se veut également plus proche de ses clients et a renforcé sa présence territoriale en 2020 par la création de nouveaux conseils régionaux. Ainsi, outre le Conseil National, l’Ordre compte à ce jour cinq conseils régionaux : Rabat-Nord, Casablanca-Centre, Tanger-Tétouan-El Hoceima, Fès-Meknès-L’Oriental, et Agadir-Souss Massa-Sud.
A ce jour, la féminisation de l’expertise-comptable au Maroc reste limitée. 15% seulement des membres de l’Ordre des Experts-Comptables sont des femmes, la majorité des femmes diplômées n’exerçant pas dans le monde libéral ou se dirigeant vers un poste en entreprise. Cela n’est pas réellement impressionnant, mais démontre néanmoins une évolution très positive. Nous sommes, par ailleurs, de fervents défenseurs de la parité en entreprise, notamment dans les instances de gouvernance.
– Quelles sont les perspectives de l’OEC et quelle est sa prochaine feuille de route ?
Depuis sa création, l’Ordre des Experts-Comptables a veillé à travers les différents mandats à assurer une continuité dans sa gestion et la réalisation des plans d’actions arrêtés au début de chaque mandature. Pour celui courant de 2020 à 2023, nous avons identifié comme axes stratégiques prioritaires de :
– Défendre notre profession contre l’exercice illégal de l’expertise-comptable et veiller à l’application de la loi en matière de certification et d’accompagnement, et élargir son champ d’actions,
– Développer les bonnes pratiques professionnelles en veillant au respect des valeurs et des normes adoptées par la profession,
– Renforcer les actions en faveur de nos membres pour encourager la mixité, faciliter l’installation des jeunes membres et assurer le développement des cabinets,
– Renforcer la communication institutionnelle par la promotion du label « Expert-Comptable » et les partenariats stratégiques avec d’autres institutions à fort impact sur l’environnement économique du Maroc dans le cadre des mesures d’appui aux entreprises.
Nous continuons, bien évidemment, à accompagner notre pays sur la voie de la modernité et de la transparence en participant activement aux réformes ambitieuses visant la stimulation de la croissance, la création d’emplois et la promotion des investissements.
– Selon votre connaissance des entreprises, quelle est votre perception de l’entreprise après le Covid-19 ?
Le Covid-19 est entré par effraction dans nos vies, et ce partout dans le monde, sans épargner les espèces humaines et encore moins les organisations. Qu’elles soient publiques ou privées, les séquelles seront durables et devront être traitées avec une vision différente. Le retour à la normalité parait de plus en plus difficile.
Les entreprises sont asphyxiées faute de trésorerie et de visibilité. Nombre d’entre elles ne survivront pas à cette crise sanitaire. Une crise sanitaire entraîne une crise économique pour déboucher automatiquement vers une crise sociale. Voilà le monde tel qu’il est aujourd’hui à cause du Covid-19.
La question à poser est : cette crise, peut-elle être une opportunité pour nos entreprises ?
Construire une organisation de plus en plus agile, travail à distance, intelligence collective, où l’autonomie est basée sur la confiance et sur la responsabilisation, sera un enjeu majeur. Nos dirigeants doivent avoir une intelligence émotionnelle et un leadership fort. Ils doivent être dotés de deux compétences : la pensée et le leadership stratégique. L’actualité nous montre bien que naviguer en temps incertain n’est pas donné à tout le monde.
En plus de ces compétences, ils doivent être créatifs pour s’adapter à un environnement sans cesse en mutation. En effet, la communication, la collaboration, la coopération et la pensée critique deviennent des compétences incontournables aujourd’hui pour réussir dans un monde de plus en plus incertain et dans lequel il faut conduire l’entreprise.
Nous avons assisté à plusieurs cas d’entreprises qui ont pu s’adapter, et de manière très rapide à cette crise. Je donne des cas de sociétés qui du jour au lendemain ont adapté leur outil de production pour faire face à la demande actuelle (production de masques, de produits hydroalcooliques, les appareils de respiration…). Voilà un exemple de sociétés flexibles dont on aura besoin demain.
Sur le plan sociétal, il devient inéluctable de revoir le contrat social et la manière dont nous interagissons. La fiscalité devra réellement être repensée afin d’installer durablement l’équité fiscale pour mieux répartir la charge et rendre nos entreprises plus compétitives.
Il faut suivre le modèle des pays dépourvus de ressources naturelles et qui se sont développés grâce à leur capital humain. Aujourd’hui, notre modèle de développement doit s’inspirer de ces expériences et leur emboiter le pas dans leur dynamique de croissance.
Il faut identifier des talents et les faire grandir afin qu’ils créent de la valeur dans l’esprit et dans une culture d’entreprise qui soit engageante et qui attire les meilleurs profils. Par conséquent, et on ne le dit jamais assez : transformer une entreprise, c’est d’abord accompagner le management à comprendre le monde de demain et à développer le leadership nécessaire pour faire les choses justes.
