Maître Mohammed Belmahi
La lutte contre le blanchiment d’argent est perpétuelle et vient de s’infiltrer dans le fonctionnement des professions juridiques indépendantes. En effet la Directive du 4 décembre 2001 a imposé à ces professions qu’elles soient assujetties aux obligations de déclaration lorsqu’elles sont en présence d’une transaction suspecte.
Les avocats peuvent-ils estimer que ces obligations portent atteinte à l’indépendance de leur profession et au secret professionnel ?
La Cour de Justice des Communautés Européennes a rendu sa décision en la matière .
Le blanchiment de capitaux est défini par l’article 324-1 alinéa 1 du code pénal comme étant « le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect », l’alinéa 2 poursuit en énonçant que « constitue également un blanchiment le fait d’apporter son concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit ».
Ainsi le blanchiment de capitaux va constituer dans la dissimulation de l’origine frauduleuse des biens ou des revenus.
La dissimulation doit être un véritable montage, elle doit se composer de plusieurs actes, à défaut cela s’apparentera davantage à une fraude.
Toutes les professions financières en générale et en particulier les établissements de crédits ont par conséquent été obligés de procéder à l’identification des clients, à la conservation des enregistrements, et à la déclaration d’opérations suspectes, en vertu de la Directive 91/308/CEE du Conseil relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux.
Les casinos constituent également le domaine de prédilection des blanchisseurs de capitaux, ils convertissent leurs fausses monnaies en jetons, qu’ils se font remboursés par la suite.
Ce dispositif a largement entravé le mouvement des blanchisseurs qui ont été « obligés » de rechercher d’autres canaux afin de procéder aux opérations visant à la dissimulation de l’origine frauduleuse des fonds ou des biens.
Les professions juridiques et comptables sont alors devenues « les ouvreurs de porte » comme le souligne le Groupe d’Action Financière Internationale (GAFI).
Le rapport sur les typologies du blanchiment de capitaux de 2000-2001 du GAFI relève cette constatation. Ces professionnels, selon les experts du GAFI, sont devenus des « ouvreurs de porte » puisqu’ils aident, à travers divers actes, sciemment ou à leur insu, le blanchiment de capitaux.
Ces actes peuvent être de nature différente, il s’agit de la création d’une entreprise ou autre montage juridique, ou bien de l’achat ou de la vente de biens immobiliers…
A titre d’illustration il s’agit du notaire qui va procéder à la vente d’un immeuble alors que celui-ci a été acquis par des moyens frauduleux. La vente va constituer une opération de blanchiment tendant à masquer davantage l’origine délictueuse ou criminelle du bien, et ce à l’insu du notaire.
Ainsi est intervenue la Directive 2001/97/CE du Parlement Européen et du Conseil en date du 4 décembre 2001, elle modifie la directive 91/308 susvisée.
Sa transposition en ordre interne doit intervenir avant le 15 décembre 2007. En France le décret d’application est intervenu le 26 juin 2006.
Les modifications apportées par cette nouvelle directive ayant pour objectif de lutter contre le blanchiment de capitaux, visent à assujettir les professions juridiques indépendantes aux diverses obligations.
Ainsi ces professions dont font partie les avocats doivent appliquer la directive 91/308 et respecter les obligations (identification des clients, conservation des enregistrements, déclaration des opérations suspectes).
Une exonération est prévue.
En effet dès lors que les avocats obtiennent des informations avant, pendant et après une procédure judiciaire ou lors de l’évaluation d’un client, ils sont exonérés de cette obligation.
Il n’en reste pas moins que si l’avocat prend une part personnelle dans le blanchiment de capitaux, c’est-à-dire lorsque la consultation est fournie pour blanchir de l’argent ou si elle est fournie pour obtenir des conseils aux fins d’opérer des opérations de blanchiment d’argent, alors ils engagent leur responsabilité pénale.
En conséquence selon ce dispositif, si les avocats exercent seulement leur activité de conseil, lorsqu’ils participent à la préparation ou à la réalisation de transactions essentiellement de nature financière et immobilière ou lorsqu’ils agissent au nom et pour le compte de leur client dans toute transaction financière et immobilière alors ils doivent être vigilants et procéder aux déclarations s’ils ont un doute.
Ainsi dès lors que la consultation n’a pas un lien avec une procédure judiciaire ou s’il s’agit de l’évaluation juridique d’un client, les avocats sont exonérés de ces obligations.
La consultation juridique reste protégée par le secret professionnel sauf dans l’hypothèse où l’avocat prend une part personnelle dans une opération de blanchiment de capitaux.
Les avocats ont considéré que cette dissociation entre les deux fonctions était intenable et source d’insécurité juridique majeure. Cette situation va rompre la relation de confiance qui existe entre un avocat et son client.
Ils ont par conséquent demandé l’annulation du décret du 26 juin 2006.
La Cour de Justice des Communautés Européennes a ensuite été saisie d’une demande en décision préjudicielle portant sur l’article 2 bis, point 5 de la directive du 10 juin 1991, modifiée par la directive du 4 décembre 2001.
Les avocats estimaient que ces nouvelles obligations portaient atteinte au droit à un procès équitable.
La Cour de Justice des Communautés Européennes a rendu sa décision le 26 juin 2007.
Cet arrêt dénommé Ordre des barreaux francophones et germanophones du 26 juin 2007 a maintenu ces nouvelles obligations incombant aux avocats.
La Cour a considéré que « l’imposition aux avocats des obligations d’information et de coopération avec les autorités de lutte contre le blanchiment de capitaux lorsqu’ils participent à certaines transactions de nature financière n’ayant pas de lien avec une procédure judiciaire ne viole pas le droit à un procès équitable ».
Les situations dans lesquelles ces obligations sont imposées aux avocats n’ont pas de rapport avec une procédure judiciaire, elles sortent en conséquence du champ d’application du droit à un procès équitable.
Il apparaît donc au terme de cette décision que la lutte contre le blanchiment de capitaux se renforce considérablement.
Le GAFI étudie toutes les nouvelles stratégies employées par les blanchisseurs et les réactions ne se font pas attendre qu’elles soient internationales ou européennes.
Désormais toutes les professions juridiques indépendantes sont mises à contribution pour que le blanchiment de capitaux se réduise comme peau de chagrin.
Les avocats, en fonction du but de la consultation, devront ou non respecter ces nouvelles obligations.