Par El Hazziti Mohammed Anouar
Depuis mon intégration au sein du secteur public aux différents niveaux, centraux et déconcentrés, je me suis trouvé chaque fois en présence de modèles de gestion et de comportements que j’avais du mal à saisir et comprendre. Je me posais toujours la question relative aux écarts entre la mise en œuvre et l’objectif initial de tels modèles. Parmi les modèles ou plutôt les paradigmes de gestion au sein du secteur public, que j’ai eu du mal à comprendre, il y a le new public management (NPM).
A cet effet, malgré les critiques qui ont été relevées et justifiées au sujet de ce modèle, surtout au sein des pays qui l’ont créé et développé (Grande-Bretagne, Australie, Nouvelle-Zélande et autres), le NPM reste toujours un sujet de mode dans la recherche scientifique marocaine et même au sein des modes de gestion du secteur public. Je suis convaincu qu’il est temps de repenser d’autres modes de management public, sachant que l’administration publique est l’outil principal pour l’exécution des politiques dans tout nouveau modèle de développement.
Les impacts inattendus de la pandémie du Covid 19 ont démontré qu’il est temps de renforcer la valeur publique de l’administration marocaine et de penser à une réforme globale touchant toutes les facettes organisationnelles, juridiques, scientifiques et managériales. Aussi, il est peu probable que le changement du paradigme veut signifier le retour au modèle bureaucratique, mais plutôt déclencher un changement paradigmatique qui tente de redéfinir notre façon de penser l’Etat, son but et donc, les modes de fonctionnement et de gestion.
Les expériences de la réforme du secteur public ont représenté un fait commun à l’échelle mondiale malgré leurs différentes formes et foyers de départ. Dans la pratique de la gestion des affaires publiques, il est devenu courant de considérer les réformes des dernières décennies comme une « nouvelle gestion publique» ou « new public management NPM» selon le lexique anglo-saxon (MNP) qui, pour Christopher Hood (1991), représentait une rupture paradigmatique par rapport au modèle traditionnel wébérien de l’administration publique. Il convient de rappeler que le « New Public Management » a pris naissance au sein d’un environnement d’incertitude mondiale dans le but de chercher l’efficacité dans la gestion des secteurs publics.
Au Maroc, comme pour d’autres pays, les cycles électoraux sont courts et les motivations des partis et des hommes politiques ont eu toujours comme but des gains politiques immédiats et urgents, alors que l’administration publique a des objectifs liés plutôt au long terme. A cet effet, il a été remarqué que le modèle de l’administration publique marocaine s’est orienté au cours des deux dernières décennies vers une administration publique qui exécute des programmes politiques à court terme au détriment d’un modèle réformateur garantissant une certaine longévité à long terme .
Lors de son discours à l’occasion de la fête du Trône, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a appelé le gouvernement à lancer une réforme profonde du secteur public en mettant l’accent sur les établissements et entreprises publics. Si Sa Majesté a demandé la création d’une Agence nationale dont la mission consistera à assurer la gestion stratégique des participations de l’Etat et à suivre la performance des établissements publics, la manière de gestion de ce secteur public restera toujours posée, surtout pour l’administration publique et les établissements publics à caractère administratif
A cet effet, on devra normalement poser la question suivante : le new public management pose-t-il plus de problèmes aujourd’hui que par le passé ? Pour y répondre, il sera opportun d’identifier les dangers de traiter le secteur public en tant qu’entreprise privée. Il faut dire que le traitement du secteur public comme une entreprise est devenu la norme, avec les structures, les pratiques et les incitations héritées du managérialisme du secteur privé. Il est tout à fait logique que les citoyens s’attendent à être en face d’organismes publics innovants et qui répondent aux besoins d’une société très exigeante en matière de qualité et de rapidité du service public. Cependant, l’adoption de l’état d’esprit d’une entreprise crée souvent une pression sur l’organisme public pour agir davantage comme une entreprise dans tout son processus de gestion. Il est vrai que cela pourra encourager les principes de la performance, de l’efficience et de l’efficacité, ainsi que l’amélioration de l’interaction des personnes avec le secteur public. Cependant, il est allé trop loin à bien des égards et en de nombreux endroits
Lorsqu’on considère les composantes du secteur public comme des « unités commerciales », on s’attend implicitement à générer des économies ou le recouvrement des coûts comme une fin plutôt qu’un moyen, et une compétitivité implicite à jeu nul entre des fonctions qui devraient vraiment travailler en étroite collaboration pour obtenir des résultats holistiques pour la population. La séparation de la politique et de la stratégie de la mise en œuvre a été un contributeur important au financement prioritaire répondant à un agenda politique à court terme plutôt que de la longévité de la politique publique elle-même.
La réforme du secteur public ne doit tout simplement pas être motivée par un impératif purement financier ou d’efficacité, car il entre en conflit très rapidement avec les résultats des biens publics et conduit inévitablement à des décisions qui privilégient l’argent par rapport aux personnes ainsi que la valeur de l’intérêt général. Lorsque tout le monde est soumis à une pression constante dans un environnement d’urgence, il reste peu de temps, de liberté et de soutien pour une exploration proactive des politiques ou des programmes. Cette approche reste dangereuse dans un monde en constante évolution, et c’est un problème relativement nouveau. De plus, la conjoncture financière de l’Etat, déséquilibré par d’autres facteurs, rend très difficile dans les secteurs publics de justifier la création d’espace et de temps pour innover ou identifier des défis à long terme, même si, ironiquement, le secteur privé parvient souvent à financer l’innovation et la prospective.
Cette analyse nous pousse à dire que bien qu’il y ait certainement des choses que le secteur public peut apprendre du secteur privé, il est temps de revenir aux prémices de base selon lesquelles les secteurs publics sont différents et ne devraient pas s’aligner aveuglément sur les pratiques du secteur privé, puisque les rôles, les responsabilités, les incitations et le but sont fondamentalement différents
Le secteur public marocain connaît depuis longtemps des problèmes de comportements cloisonnés, avec un manque de coordination inter et intra organisationnelle. Mais la culture du new public management, l’accélération du phénomène d’agencification et de « démembrement de l’Etat »ont aggravé ce problème dans un contexte de segmentation fonctionnelle des spécialisations et avec la multiplication des intervenants pratiquant les mêmes fonctions. Cette segmentation a eu comme impact la déviation des efforts financiers et humains et des processus de l’objectif global de la politique ou du programme public. De plus, elle a créé une concurrence fonctionnelle féroce qui nuit fortement à la capacité d’aboutir à des résultats communs entre les équipes, même au sein du même organisme public.
Actuellement, le schéma managérial au sein du secteur public marocain nous donne le constat suivant : les responsables de la fabrique des politiques qui, d’une part, ont apporté une plus grande cohérence des méthodes et du professionnalisme à la pratique, se sont séparés de la mise en œuvre d’autre part. Donc, combler le fossé entre la fabrique des politiques publiques et leur mise en œuvre reste essentiel pour garantir les efforts fondés sur les résultats, la hiérarchisation et les ressources, et cela veut dire qu’il faudra envisager des structures organisationnelles avec des équipes multidisciplinaires qui cherchent les mêmes résultats, plutôt que d’être séparées en fonctions.
Ainsi, dans le processus futur de la réforme du secteur public, il faudra partir d’un constat et arriver à des pistes constituant des piliers de réussite du chantier. Pour le constat, il faut dire que le secteur public a joué un très grand rôle dans la construction du Maroc moderne. Beaucoup de gens intègrent la fonction publique marocaine, tout en supposant que le secteur privé fait tout mieux, mais ils sont souvent surpris de constater que les agents de l’Etat sont plus capables, innovants et efficaces qu’ils ne l’auraient jamais cru possible. Ce n’est pas l’exception qui confirme la règle, c’est la preuve que le discours public sur les secteurs publics ne reflète pas la réalité ou plutôt, la communication publique actuelle ne permet pas de valoriser le rôle que joue le secteur public.
Avec l’expérience, nous pourrons affirmer que le travail dans le secteur public est complexe, difficile et a des répercussions très diverses sur la société dans tout ce que nous faisons. Notre impératif de bien public ne correspond pas toujours à un impératif commercial, et nous avons les responsabilités qui tentent de protéger les droits, la dignité et la sécurité des personnes et de la société que nous servons. Nous sommes différents du secteur privé – et nous devons en être fiers.
Pour les piliers de la réforme, le secteur public marocain devra être fondé sur cinq bases. La première est relative à l’adoption de l’approche stratégique dans la fabrique et la mise en œuvre des politiques publiques avec la définition de trois éléments clés : les objectifs et les valeurs, la légitimité de la gestion et la capacité opérationnelle en termes de ressources et de compétences. La deuxième base concerne, la concentration sur les besoins sociétaux (intérêt général) plutôt qu’individuels, ce qui signifie que les organismes publics, en plus de fournir des services de bonne qualité aux individus, ont le devoir de fournir des avantages mesurables plus larges à la communauté dans son ensemble.
La troisième concerne le rôle des Top mangement publics en tant que «prospecteurs» et créateurs de valeur publique en s’ouvrant sur l’extérieur, vers le haut, vers le bas et vers l’intérieur, en tant que coordinateurs et en mettant l’accent sur les compétences en gestion publique. La quatrième base met l’accent sur la gouvernance en réseau avec des organismes publics au-delà des frontières organisationnelles. Enfin, la cinquième est liée au concept de coproduction où les organisations publiques et leurs prestataires travaillent avec le public dans la conception et la fourniture de services.
*Lauréat de l’Institut supérieur de l’administration