Rabat – le12
La langue est un ensemble de “voix par lesquelles chaque peuple exprime ses fins”, ainsi parlait le maître de la linguistique Ibn Jinni dans son ouvrage “kitab Al-khassa’is” (principes de la grammaire). C’est un produit social qui change selon les mutations culturelles et les nouveautés scientifiques.
Avec le développement technologique et l’émergence des nouveaux moyens de communication, de nouveaux modes de conversation linguistique ont vu le jour que l’on nomme communément “la langue du Tchat”.
Et comme la nécessité est mère de l’invention, cette nouvelle langue aux fonctionnalités auditives, visuelles et sociales devient un nouveau phénomène linguistique ou une “langue intermédiaire” et un outil d’expression et de communication combinant l’arabe classique, le dialecte, les accents régionaux et les langues étrangères sur les plateformes sociales. Et là, se pose plus d’une question sur ses limites et sa nature : serait-elle une rébellion linguistique ou tout simplement une manière passagère de communication ?
A cet égard, Abdallah Brimi, chercheur en sémiologie, interprétation et analyse de la parole fait une approche de ce sujet/phénomène dans un entretien à la MAP.
Il affirme que l’apparition d’Internet a conduit “à un changement profond dans la manière dont les gens expriment leurs idées et désirs”, expliquant que des expressions comme “tweet”, “Wi-fi”, “blog” ou “webmaster” sont devenues “un langage courant rendant notre société virtuelle en constante mutation, vu que les réseaux sociaux ont permis à tout un chacun d’inventer un mot ou de lancer une idée qui deviennent vite viraux”.
Dans la même veine, l’expert estime que les mécanismes numériques, dont Internet, font partie intégrante de la vie moderne, soulignant qu’avec leur évolution rapide et continue, “ils n’hésitent pas de créer de nouveaux vocabulaires et définitions compatibles avec une nouvelle ère/aire.”
Aussi, Abdallah Brimi, également professeur d’enseignement supérieur à la Faculté polydisciplinaire d’Errachidia, note que toute nouvelle langue est soumise à un ensemble de règles approuvées par un “clan linguistique”.
“La maîtrise de ces outils et mécanismes numériques implique forcément la possession de cette langue que ce soit au niveau de la composition, de la sémantique, de la rhétorique ou de la culture, ce qui permet de dominer le monde et de l’exprimer par des chiffres et des images au lieu d’utiliser des lettres alphabétiques comme auparavant”, commente-t-il.
Cette maîtrise est aussi une autre manière pour garantir “une communication efficace et influente et créer des formules d’échange avec le monde entier à travers le web”, enchaîne-t-il.
Concernant les programmes de Tchat, qui ne permettent pas l’utilisation de la langue arabe, l’expert précise que les internautes écrivent l’arabe avec des lettres latines et à l’aide des chiffres pour remplacer l’alphabet arabe qui n’a pas d’équivalent dans les langues étrangères.
D’un autre côté, le chercheur refuse de qualifier la langue du Tchat par une “langue de la rébellion”. Pour lui, elle est tout simplement une manière de communication électronique qui a engendré l’apparition de nouvelles pratiques d’écriture entre les utilisateurs.
Cette nouvelle langue s’est répandue entre les jeunes “pas pour la révolte mais par besoin de communiquer, exprimer des idées et des réactions et partager des sentiments facilement, surtout que les technologies actuelles, que ce soit sur les ordinateurs ou sur les smartphones, n’intégraient pas auparavant les lettres arabes dans leurs programmations”, d’après Brimi.
La langue utilisée dans les SMS et sur WhatsApp par exemple “est une sorte de dialecte social qui a modifié l’orthographe et la grammaire d’une langue pour la simplifier au maximum et ne pas dépasser le nombre de caractères exigé par les SMS (…) C’est une langue qui s’est construite rapidement, dépassant les stéréotypes traditionnels qui empêchent les jeunes d’exprimer leurs besoins jusqu’au bout”, confirme-t-il.
Interrogé sur l’influence de cette “langue” sur l’identité culturelle, les règles linguistiques correctes et sur l’orthographe de la langue arabe, M. Brimi affirme que l’utilisation de la langue des SMS et celle du Tchat a suscité l’admiration et fait l’objet de plusieurs études comme elle était aussi sujette à des critiques et de la part de certains linguistes soucieux de préserver la langue qui constitue leur identité et leur mémoire et qui est aussi à l’origine de leurs inspirations et références religieuses et culturelles.
Ces derniers considèrent que l’utilisation de cette nouvelle langue conduira à la vulnérabilité linguistique par la vulgarité et la fadeur causées par l’absence totale de la maîtrise des règles.
Quant à l’utilisation des icônes et des émoticônes, l’expert précise qu’avoir recours à ces “émojis” se fait de plus en plus dans les communications informelles pour ajouter des expressions visuelles au contenu du message, estime-il, ajoutant que le but espéré de l’écriture avec ces signes est d’ajouter “un ton visuel” au message.
En somme, l’adoption de la langue du Tchat dans tous ses aspects contribue à l’enrichissement des débats entre les chercheurs dans les domaines de la sémiologie et de l’analyse de la parole, qui craignent que ces changements sémantiques puissent porter atteinte à des valeurs qui ont été, depuis toujours, de fermes convictions pour de nombreux peuples et nations.