marche verte 2025

Suite à la série d’articles diffamatoires sur le Maroc et dans un souci d’éclairer l’opinion publique nationale et internationale sur la dérive éditoriale du journal  « Le Monde », Le 12.ma/fr a frappé à la bonne porte et a pris contact avec Alain Rollat, ayant assumé de hautes responsabilités au sein de ce quotidien, considéré jadis comme un organe de presse de référence.

Considéré comme l’une des figures emblématiques de la presse écrite française, Alain Rollat a  réussi une carrière brillante au quotidien  « Le Monde »  de 1977 à 2002, où il a été accrédité à l’Hôtel Matignon et à l’Élysée, chef adjoint du service politique, chef du service médias-communication, chroniqueur et conseiller de la direction. Il a également dirigé le mensuel « Le Monde de l’éducation».

Essayant de redresser le gouvernail sans y parvenir et constatant que  «Le Monde» était entrain de perdre son âme, il le quitte au début des années 2000, à la suite de divergences stratégiques avec la direction du journal, en s’expliquant sur les raisons de son départ dans  « Ma Part du Monde », essai publié en 2003 et censuré alors par la Direction du  «Monde».

Dans cet entretien exclusif, Alain Rollat, reconnaît que sous l’emprise de certains intérêts politico-financiers »  l’indépendance du «Monde» s’est réduite à peau de chagrin et le socle de ses valeurs s’est délité, au point que le directeur du journal puisse censurer les vérités qui le démythifient sans que ses pairs, qui l’ont élu, s’en émeuvent outre-mesure».

L’Entretien réalisé par Sliki Mohammed

Editor in chief du journal le12.ma/fr

Comment décririez-vous votre parcours au journal Le Monde, depuis vos débuts jusqu’à votre départ en 2001 ?

J’ai eu, grâce au  » Monde », le plus beau des parcours professionnels dont pouvait rêver, il y cinquante ans, un journaliste de ma génération. La presse écrite faisait alors la pluie et le beau temps, dans le paysage médiatique, et « Le Monde« , en ces années-là, exerçait une influence souveraine.

Son magistère s’imposait à tous les pouvoirs. Entre lui et l’empire de Robert Hersant, dont Le Figaro était la figure de proue, il n’y avait rien. Son indépendance éditoriale ne faisait aucun doute, parce que le journal créé en 1944 par Hubert Beuve-Méry appartenait à ses journalistes, regroupés au sein d’une Société des rédacteurs qui disposait du pouvoir de choisir librement le directeur du titre et le gestionnaire de l’entreprise.

Il incarnait à lui seul, dans la France bipolaire de la V è République, le parti des idées en résistance contre les conservatismes et les dogmatismes.

Il faisait référence, en France et à l’étranger, parce que ses journalistes, qui en formaient l’aristocratie, étaient vraiment les meilleurs professionnels formés au service du droit des gens à recevoir une information libre, indépendante, rigoureuse, etc. Entrer au « Monde« , pour un novice comme moi, qui avait fait ses débuts dans la presse locale, c’était pénétrer dans le saint des saints.

J’y suis entré, en 1977, comme un croyant entre dans une cathédrale ou dans une mosquée : avec vénération. Et j’y ai connu tous les bonheurs professionnels en pratiquant tous les formats d’écriture et toutes les formes d’expression, dans les genres les plus divers, en toute liberté, et en assumant toutes les fonctions, des plus humbles jusqu’aux plus éminentes. 

Quelles ont été, selon vous, les transformations éditoriales les plus marquantes que vous avez vécues de l’intérieur ?

Ce qui faisait la force intellectuelle du « Monde », sous la direction de Hubert Beuve-Méry, puis sous celle de ses premiers successeurs, Jacques Fauvet, André Laurens, André Fontaine, c’était l’excellence de ses expertises dans le traitement de tous les champs d’information.

Cette excellence était garantie par l’organisation de sa rédaction en services autonomes; chaque service était placé sous la direction d’une forte personnalité aux compétences indéniables qui régnait sans partage sur son équipe rédactionnelle, en disposant notamment du privilège d’embaucher ses collaborateurs sans l’autorisation préalable du directeur du journal.
J’ai été moi-même embauché directement par le chef du Service Politique, Raymond Barrillon, sans avoir auparavant eu le moindre contact avec le directeur du journal, Jacques Fauvet, en 1977.

Il y avait alors quelque chose de féodal dans le fonctionnement élitiste du « Monde«  de ces années 70-80. Chaque Service constituait une « baronnie » qui ne rendait compte de son travail qu’à postériori. Chacune de ces « baronnies » était composée de rubricards, c’est-à-dire de journalistes tenus d’être les meilleurs, c’est-à-dire les mieux informés, les plus compétents, les plus rigoureux, les plus fiables, etc. dans le traitement et le suivi des dossiers qu’ils avaient en charge.
Pour ma part, par exemple, j’ai été embauché au Service Politique pour devenir l’accrédité du
« Monde«  auprès du Premier ministre, mais j’ai très vite été chargé de m’occuper aussi, en même temps, de plusieurs autres dossiers sans aucun rapport direct avec ma mission première : les dossiers relatifs aux partis d’extrême droite, aux départements et territoires d’outre-mer, aux collectivités locales, aux rapatriés d’Algérie…

Je me suis investi dans mon travail de toutes mes forces pour m’efforcer d’atteindre, dans la maîtrise de chacun de ces dossiers, un degré d’expertise qui soit le plus proche possible de l’excellence. Les lecteurs aimaient cette conception du journalisme.

Le contenu rédactionnel du « Monde«  n’a d’ailleurs jamais été meilleur qu’à cette époque-là. Nous étions dans les années 80. Les ventes quotidiennes du journal se situaient entre 800.000 et 1 million d’exemplaires.

Pour répondre plus directement à votre question, je dirai que c’est la remise en cause de cette organisation de la Rédaction du journal qui a été, à mes yeux, la transformation éditoriale la plus marquante que j’ai vécue à l’intérieur du « Monde« .

Elle s’est produite peu de temps après l’entrée en fonctions de Jean-Marie Colombani que j’avais porté, avec quelques autres compagnons de travail, à la direction du journal.

J’ai raconté cela dans « Ma Part du Monde », l’essai autocritique que j’ai publié en 2003. Cette remise en cause a été décrétée par ce nouveau directeur – que nous avions élu – sous prétexte de modernité.

Elle s’est déroulée en deux temps. Elle a commencé quand les « Services » de la Rédaction ont été transformés en « Séquences ».

La « Séquence France » a remplacé le « Service Politique » ; la « Séquence International » a remplacé le « Service Etranger », etc.
Sans que tout le monde, sur le moment, en ait eu pleinement conscience, ce changement sémantique modifiait l’ordre des valeurs fondatrices du
« Monde« , car il soumettait l’organisation des services rédactionnels à un concept utilisé pour la production des images.

Le Monde sortait de la civilisation de l’écrit pour entrer dans la civilisation de l’image. Cette primauté donnée à la forme sur le fond préfigurait la métamorphose du journal en produit médiatique. Ensuite, le nouveau directeur de la rédaction, Edwy Plenel, a profité de ce changement pour chambouler complètement le fonctionnement traditionnel, des services en s’arrogeant le droit de désigner leurs chefs et d’intervenir dans la composition de leurs équipes.
Les « baronnies » ont été cassées, les « barons » remplacés par des chefs aux ordres du directeur de la rédaction, les « rubricards » priés de sortir de leurs spécialités pour devenir généralistes.
Le contenu du journal en a été profondément nivelé. Je regrette de n’être pas intervenu tout de suite pour empêcher çà

– Aviez-vous prévu que « Le Monde«  en arriverait à la situation actuelle ?

Je leur avais prédit cette triste fin

Toutes mes craintes ont, hélas ! après mon départ, été confirmées par les faits … Mes deux « comparses » de l’époque, Edwy Plenel et Jean-Marie Colombani, y ont d’ailleurs laissé leurs plumes – si j’ose dire-, le premier en étant conduit à quitter le journal, en 2005 ; le second en étant poussé à la sortie après avoir été désavoué par la Société des rédacteurs, en2007… Je leur avais prédit cette triste fin

Dans « Ma Part du Monde », vous expliquez avoir quitté le journal pour des « divergences stratégiques » avec la direction. Pouvez-vous préciser la nature de ces divergences ?

Ces divergences étaient de deux ordres. J’étais d’abord en désaccord avec Jean-Marie Colombani sur la stratégie à suivre pour pérenniser l’indépendance du « Monde« .

Malgré l’augmentation de sa diffusion et l’accroissement de ses ressources publicitaires,  « Le Monde«  des années 90, qui s’était doté d’une nouvelle imprimerie, restait une machine à produire du déficit à cause du poids croissant de ses charges fixes.
Je préconisais une politique de rigueur, en matière de salaires et d’embauches, pour que cette machine puisse recommencer à produire du bénéfice.
Je rêvais de refonder
« Le Monde«  sur un cercle vertueux. Mais Jean-Marie Colombani, sur les mauvais conseils d’Alain Minc, avait préféré la fuite en avant ; il avait opté pour une stratégie d’expansion qui consistait à faire du « Monde«  le « vaisseau amiral » d’un groupe de presse composé de titres prospères qu’il suffisait d’acheter – à crédit ! – pour colmater les brèches du « vaisseau amiral » en puisant dans leur trésorerie.

Je savais que le recours à ce genre de « bouée de sauvetage », ne sauverait pas  « Le Monde » du naufrage. Cela annonçait le pire ; le pire s’est produit.

Mon autre divergence était plus personnelle. Quand Le Monde était devenu propriétaire des trois quotidiens du groupe des Journaux du Midi, Midi Libre, le journal de mes débuts professionnels, L’Indépendant des Pyrénées-Orientales, et Centre Presse, le quotidien départemental de l’Aveyron, j’avais accepté de prendre la direction de ce dernier à une condition : à la condition, pour redresser ses ventes, que ce journal continue de bénéficier de sa propre imprimerie, située à Rodez.
Quand j’ai appris que mes petits camarades préparaient dans mon dos la fermeture de cette imprimerie, je me suis senti trahi et j’en ai tiré les conclusions que ma conscience me dictait
.

Le Monde ou la dérive d’un journal autrefois respectable

Vous affirmez que la direction du  « Monde »  a « dilapidé » les principes fondateurs du journal. Quels étaient ces principes précisément ?

C’étaient les principes sur lesquels le journal avait été fondé par Hubert Beuve-Méry en 1944.
Le premier de ces principes était le refus absolu de mettre
« Le Monde«  à la merci des puissances d’argent.

Votre départ a-t-il été un choix personnel difficile ou la conséquence inévitable d’une impasse interne ?

C’était mon choix personnel. Il a été douloureux et j’en porterai toujours la cicatrice.
Je ne me pardonnerai jamais d’avoir appartenu à cette génération de journalistes du
« Monde«  qui n’a pas su préserver l’héritage qu’elle avait reçu du fondateur du journal.

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre, « Ma Part du Monde », après votre départ du journal ?

Le besoin de laisser un témoignage direct, autocritique, donc honnête, à mes pairs mais aussi aux nouveaux venus à la Rédaction du « Monde«  et aux historiens de la presse.

L’ouvrage a été, selon vous, « censuré » ou « étouffé » par la direction du « Monde« . Comment avez-vous vécu cette expérience ? 

Je n’interprète pas les choses quand je dis cela ; je ne réécris pas non plus l’histoire à ma façon ; il s’agit d’un fait avéré, public, facile à vérifier, en consultant les archives du journal. Jean-Marie Colombani, furieux du contenu irréfutable de mon témoignage, m’a banni des colonnes du journal, mon ouvrage a été interdit de critique dans les colonnes du journal et Edwy Plenel n’a pas objecté, alors qu’il aurait pu le faire en tant que directeur de la rédaction. La « damnatiomemoriae » qui m’a été infligée a fait de moi une singularité : je suis devenu le seul journaliste du « Monde«  auteur d’un livre sur « Le Monde«  censuré par « Le Monde  « ….

Si vous deviez publier une nouvelle édition, ajouteriez-vous de nouveaux chapitres ou témoignages ?

Il n’y a pas eu et il n’y aura pas de nouvelle édition de « Ma Part du Monde », mais je suis revenu, pour les commenter, sur les réactions que sa parution a suscitées de la part de mes anciens « petits camarades » dans mon dernier livre, intitulé « Mémoires du centre du Monde », édité en 2024 par Cap Béar Editions.

J’y raconte notamment, en souriant, comment Jean-Marie Colombani a essayé, en vain, après mon départ, dans ses propres écrits, d’effacer mon rôle à ses côtés, et même mon existence professionnelle.
Je dis « en vain » parce que ses successeurs à la tête du journal n’ont pas été dupes.

Ils ont, en quelque sorte, « réhabilité » mon souvenir. C’est avec un grand plaisir, pétri de nostalgie, que j’ai accepté leur invitation à renouer avec les lecteurs du journal, en septembre 2024, au cours du Festival annuel du « Monde« .

Cette invitation ponctuait de façon honorifique mes 25 ans passés au service du journal de 1977 à 2002. C’était un pied de nez infligé à mes censeurs.

Vous avez souligné que l’indépendance éditoriale du journal s’est fortement affaiblie après 2001. Comment expliquez-vous cette régression ?

Plus Le Monde s’enfonçait dans les difficultés financières et économiques, plus il s’offrait aux convoitises des puissances d’argent qui espéraient, depuis longtemps, s’en emparer. La menace de cette épée de Damoclès faisait parfois douter la Rédaction de ses choix, la déstabilisait, la faisait hésiter sur le bien-fondé de sa politique éditoriale, elle devenait plus perméable aux influences extérieures, sa cohésion s’en ressentait.

 

« Le Monde«  perdait automatiquement des lecteurs en même temps que sa superbe.

 

Les multiples changements opérés dans son organigramme n’ont fait qu’accélérer cette tendance.

Jusqu’au moment où  « Le Monde », lâché par son propre banquier, pour survivre, s’est retrouvé dans l’obligation de se vendre à des hommes d’affaires dont les intérêts n’épousaient pas automatiquement ceux de ses journalistes… Quand un journal devient la propriété de puissances financières, il devient ipso facto un journal sous influence et l’indépendance de ses journalistes est fatalement soumise à cette influence.

Comment les journalistes du  journal « Le Monde »  ont-ils perdu le droit d’élire librement leur directeur ? Quelles en ont été les conséquences concrètes ?

Toutes les opérations de recapitalisation qui ont eu lieu à partir de 1995 ont permis au journal de continuer à exister, et même de se relancer, au point de prédominer, aujourd’hui, dans le paysage de la presse d’information électronique, mais elles ont été accompagnées de changements juridiques qui ont fait perdre à la Société des rédacteurs son statut d’actionnaire majoritaire et, par voie de conséquence, son pouvoir de choisir et d’élire, en toute liberté, le directeur du « Monde ».

En 2010, les sociétés de personnels, toutes réunies au sein d’un « Pôle d’indépendance » ne pèsent ensemble que 25%. Concrètement, lorsqu’il s’agit de désigner leur directeur, les journalistes du  » Monde » n’ont plus que le pouvoir de valider ou d’invalider, a posteriori, le choix fait par leurs actionnaires majoritaires.
Ceux-ci, jusqu’à présent, ont toujours choisi une personnalité issue de la Rédaction, mais rien ne dit qu’il en sera toujours ainsi
.

Peut-on dire que « Le Monde«  est passé d’un journal de référence à un simple outil au service d’agendas politiques ou économiques ? 

Non, c’est désobligeant de dire cela. « Le Monde » commet des erreurs, il cède parfois à des effets de mode, il verse parfois dans la presse people, il lui arrive d’être superficiel pour plaire à tout le monde, mais il reste un journal de référence dans bien des domaines, en particulier, dans le traitement des dossiers confiés à ses nouveaux rubricards, parce qu’il a su corriger les effets négatifs des réformes qui avaient chamboulé le fonctionnement de ses équipes rédactionnelles, dans les années 90, sous la direction de Jean-Marie Colombani et Edwy Plenel.

La perte d’indépendance est-elle, selon vous, un phénomène propre au « Monde »  ou bien une tendance générale dans le secteur médiatique français ? 

Partout où les pouvoirs politiques ou financiers s’emparent des médias, la liberté de la presse est bridée et le travail des journalistes honnêtes plus ou moins entravé. Mais il n’y a aucune fatalité en la matière.
Aucun journaliste professionnel qui se respecte n’est contraint d’exercer son métier contre son gré.

Le journaliste professionnel est un diseur de vérités ; il est au service du public, au service de l’intérêt général, au service du droit des gens à recevoir par son intermédiaire une information fiable, vérifiée, rigoureusement établie.

Il n’est pas au service d’intérêts particuliers ou partisans. S’ils sont devenus minoritaires dans la société capitaliste éditrice de leur titre les journalistes du « Monde »  sont toutefois parvenus à préserver, autant qu’il était possible, leur liberté d’expression. Ils font leur métier dans le cadre d’une charte interne qui garantit leur indépendance et ils ne se privent pas, au besoin, d’écrire des choses qui ne plaisent pas à leurs actionnaires principaux.

Je ne dirai pas qu’ils sont aussi libres de s’exprimer, sur certains sujets, que je pouvais l’être à mon époque, mais je ne dirai pas non plus qu’ils sont aux ordres de leurs patrons parce qu’ils forment une confrérie plutôt allergique aux connivences.

Cela dit, la situation est bien différente dans les autres champs médiatiques. C’est dans la presse audio-visuelle que l’emprise des puissances d’argent est la plus voyante. Il est plus difficile qu’ailleurs d’y échapper. 

Comment percevez-vous l’état actuel de la presse française, comparé à l’époque où vous travailliez au « Monde » ?

Nous avons changé d’ère. J’ai exercé mon métier de diseur de vérités dans une civilisation qui était celle de l’écrit ; nous vivons maintenant dans la civilisation de l’image.

Les modes d’expression ont changé. La presse écrite est à la peine, menacée partout dans son existence.

Mais les nouvelles technologies ouvrent d’extraordinaires perspectives.

Donnez-moi un ordinateur et je vous fais un journal à moi tout seul !… Par les temps qui courent, propices à la prolifération des faussaires, en tout genre, et à la multiplication des désinformateurs professionnels, l’avenir sourira aux audacieux qui trouveront le moyen de faire prévaloir l’expression des vérités sur celle des mensonges. Je suis optimiste.

 

Editorial le12. Quand le journal le Monde se transforme en simple outil de propagande

 

Quel regard portez-vous sur les relations parfois tendues entre la France et le Maroc, ou avec les autres pays du Sud, à propos de certains dossiers ?

Ces relations ont toujours été compliquées. Mais s’il est un journal qui a toujours combattu l’ethnocentrisme ambiant en Europe c’est bien « Le Monde« .

Ses valeurs fondatrices l’ont toujours porté à traiter avec respect des sujets relatifs à l’époque postcoloniale.

Et ce, au nom des idéaux universalistes diffusés depuis quatre siècles en Europe.

Mais, d’où qu’il vienne, le journaliste chargé de traiter un sujet extérieur à son périmètre habituel se doit, s’il est consciencieux, de bien s’informer, auparavant, sur ce qui l’attend là où son journal l’envoie. On ne peut bien parler ou bien écrire que des sujets qu’on maîtrise bien.

D’où l’importance de disposer, en amont, d’une documentation aussi complète que possible.

C’est pour cela que « Le Monde« , pendant longtemps, a confié le traitement de ses informations en provenance de l’étranger aux correspondants permanents qu’il entretenait dans la plupart des grandes capitales.

C’est son correspondant à Rabat, par exemple, qui était le mieux placer pour raconter, expliquer, analyser, voire éditorialiste sur la vie marocaine.

Je me souviens, par exemple, du doigté minutieux avec lequel un Roland Delcour, dans les années 80, traitait des affaires marocaines. 

Aujourd’hui, le fait de confier certaines enquêtes au long cours à des envoyés spéciaux plus généralistes, et moins connectés aux sources d’information locales les plus fiables, comporte le risque de traitements parfois trop elliptiques ou approximatifs.

Par-delà ces considérations, il y a toujours le mur des évolutions historiques qui fait que les libertés de la presse ne sont pas comprises de la même façon dans les sociétés républicaines et dans les sociétés monarchiques, sous des régimes religieux et sous des régimes laïques, dans des pays régis par des lois différentes.

Cela implique que les chercheurs de vérités sachent faire preuve de circonspection

Si vous pouviez revenir en 2001, prendriez-vous la même décision de quitter  « Le Monde » ?

J’ai quitté  « Le Monde »  sur la pointe des pieds, en 2001, parce que je ne voulais pas que mes divergences avec mes anciens petits camarades puissent porter préjudice au journal que j’avais servi pendant un quart de siècle avec dévotion.

Je regrette un peu, aujourd’hui, de n’avoir pas mis les pieds dans le plat. Peut-être aurais-je dû exprimer mes doutes et mes craintes à haute voix sur les dangers que faisait courir au journal la stratégie choisie par Jean-Marie Colombani pour lequel j’avais mené campagne jusqu’à son élection à la tête de l’entreprise.

C’est difficile, quand on a appelé à élire quelqu’un, d’admettre qu’on s’est lourdement trompé… Je traînerai ces remords jusqu’à la fin de ma vie.

Vous considérez-vous toujours néanmoins,  comme un « enfant » de cette maison de presse malgré les divergences que vous avez eues avec elle ?

Oui ! Personne ne pourra jamais effacer la part du « Monde« qui vit à jamais en moi.