Rabat –le12
A l’ère des comptes des influenceurs aux “vies de rêves”, les réseaux sociaux ont fait des images parfaitement retouchées une norme. Entre les magnifiques photos de voyages, les somptueuses maisons et décorations et les “physiques idéaux” … tout doit être beau, parfait et inspirant. Ce perfectionnisme numérique affecte de plus en plus les internautes, aussi bien lambda que professionnels des plateformes sociales.
Si bien que nombreux sont les utilisateurs de Facebook, Instagram, Snapchat ou Twitter, qui ont pu, par moments, expérimenter cette sensation de tristesse et d’anxiété, fruit de la frustration qui naît à force de scroller les “feeds” des différentes applications.
En effet, en visualisant en permanence les publications des influenceurs qui partent en vacances dans les hôtels les plus “instagramables”, font du shopping chaque semaine, sortent faire la fête dans les endroits les plus branchés de la ville, pratiquent leur sport quotidiennement ou profitent de leur “breakfast time” … on risque de sombrer dans un tourbillon d’insatisfaction personnelle. Cela pousse les adeptes de ces médias sociaux à se dévaloriser injustement et à entretenir l’impression de valoir moins que ces autres qui ont une vie parfaite, du moins en images.
“Il m’arrive de ressentir de la jalousie envers certaines personnes que je suis sur Instagram et souvent j’ai l’impression que je mène une vie fade et ennuyeuse”, se confie Yasmine à la MAP, une internaute de 28 ans dont la durée moyenne d’activité quotidienne sur Instagram est de 2 heures et 37 minutes. “Des fois, je me pose même des questions par rapport à mon poids et à mon corps qui ne ressemblent pas du tout à ceux des filles qui apparaissent sur mes fils d’actualité”, ajoute la jeune femme.
Anas se sent aussi touché par l’effet néfaste et dépressif que peuvent provoquer les réseaux sociaux. “Vu que nous ne pouvons pas trop voyager et sortir durant cette période particulière, je passe plus de temps sur Instagram et TikTok que d’habitude pour me distraire, sauf que je deviens encore plus triste en regardant les publications des utilisateurs de ces plateformes dont le quotidien paraît plus fun et plus palpitant”, déplore l’adolescent de 16 ans dans un témoignage à la MAP.
Il convient de noter aussi que le perfectionnisme numérique n’est pas nocif que sur les amateurs des réseaux sociaux, mais peut être aussi très dangereux pour les professionnels du domaine eux-mêmes.
Souvent, plusieurs influenceurs partagent leur frustration avec leurs abonnés à l’égard de l’obligation qu’ils ressentent de rentrer dans un moule pour être conformes aux règles et aux tendances des réseaux sociaux. Ces dernières ne correspondent pas forcément à leurs valeurs et leurs convictions mais sont nécessaires pour favoriser la popularité à travers les “likes”, vues et commentaires positifs.
La youtubeuse et créatrice de contenu française Marie Lopez alias EnjoyPhoenix a mis longtemps avant de réussir à publier sur son compte Instagram une photo au naturel et sans retouches . Sous une publication datée du 7 mai dernier, Marie avait déclaré à ses cinq millions d’abonnés avoir commencé enfin à lâcher prise : “Il faut savoir qu’il y a encore quelques mois, je refusais de poster une photo sur Insta qui n’était pas prise au reflex et dont la couleur n’avait pas été́ pensée/retouchée pendant des heures. Je passais plus de temps sur la manière dont mon “feed” allait rendre que sur la prise de la photo elle-même, et je me refusais de poster des photos pas assez travaillées”.
Il faut savoir qu’aujourd’hui, grâce aux filtres et aux applications de retouche, il est très facile de mettre en scène et d’embellir sa vie sur les réseaux sociaux.
L’influenceuse marocaine Zei Beauty a choisi de s’exprimer sur le sujet à travers une vidéo challenge lancée sur Instagram, suite à la sortie de la dernière chanson du rappeur marocain Dizzy Dros “Nota”. Elle met en garde sa communauté (plus d’un million d’abonnés) sur le fait que les publications sur les plateformes sociales ne sont pas forcément réelles et sont souvent scénarisées, afin de plaire aux internautes. “J’ai choisi de parler de faux semblants sur les réseaux sociaux…non seulement tout ce que l’on voit n’est pas forcement vrai, mais des fois on fait semblant d’être heureux H24 pour vous transmettre des ondes positives alors qu’en vrai, nous-mêmes passons par des moments difficiles dans nos vies…so stay strong (soyez forts), positivez et ne croyez pas tout ce que vous voyez et ne vous minez jamais le moral”, explique Zineb Laouni.
Il est vrai, qu’entre l’anxiété, la dépression et la frustration…, les griefs contre les médias sociaux ne manquent pas. Cependant, plusieurs solutions et comportements existent pour éviter de plonger dans ce cycle vicieux qui s’intensifie de plus en plus par les tendances actuelles, affaiblissant ainsi l’estime de soi. Consciente de ce danger, Yasmine fait une cure des plateformes sociales de deux à trois jours. “J’essaye aujourd’hui de passer moins de temps sur les réseaux sociaux et de vivre un peu plus de vrais moments. Je désinstalle Facebook, Instagram et TikTok un weekend par mois”, confie-t-elle
Sur cette même lancée, plus de 10 millions d’internautes ont téléchargé l’application “Forest” afin de pouvoir passer moins de temps sur leur smartphone. Le fonctionnement de cette application est très simple : une fois qu’on ressent le besoin de se détacher de son téléphone, on démarre l’application pour planter une graine qui se développe jusqu’à devenir un arbre, si on quitte “Forest” pour consulter son appareil, l’arbre meurt. C’est triste, mais ça reste efficace pour certains.
En somme, les réseaux sociaux ont bâti leur réussite sur les images soignées d’une vie enjolivée. Pourtant, dernièrement presque 300.000 publications portant le hashtag “#NoFilter” (sans filtre) sont partagées sur Instagram. Une mention qui assure l’aspect véridique du cliché. Assistons-nous à la propagation de la tendance de l’authenticité et de la véracité ? Une nouvelle mode qui peut-être pénétrera les codes actuels des médias sociaux, où règne la mise en scène et le faire-semblant.