Hajar ERRAJI

 

“Il était minuit quand un énorme coup sur la tête me réveilla en sursaut. Je me lève du lit comateux et ce que j’ai vu m’a horrifié: La face rouge, les yeux sombres et la voix hurlante, Leila, ma femme, était devant moi, en train de crier car j’avais sali le sol en sortant de la salle de bain”, ainsi parlait Ahmed qui s’est retrouvé face à un cauchemar quasi inavouable depuis qu’il a perdu son travail, celui d’être battu par son épouse.

Un sujet tabou qui inspire au mieux l’indifférence, au pire les moqueries. Les hommes sont, eux aussi, victimes de violences conjugales infligées par leurs conjointes. Ahmed, qui fait partie de ces victimes, a accepté de témoigner, sous un faux nom, de l’histoire d’un mariage douloureux, ponctué d’humiliations, de privations de libertés et de coups.

Marié depuis quatre ans, ce jeune homme, âgé de 37 ans, menait une vie paisible avec celle qu’il avait aimée et élue pour accompagner son chemin, avant que sa vie conjugale ne bascule dans l’horreur quand il a perdu son emploi à cause de la pandémie de Covid-19, le 04 avril 2020. Une date mémorable et maudite!.

“A l’époque, je vivotais de ma modeste indemnité pour perte d’emploi. Leila ramenait l’essentiel de l’argent nécessaire pour subvenir aux besoins du foyer et de notre bébé. Je devenais petit à petit cette espèce discrète: l’homme à la maison”, confie à la MAP cet ancien cadre hôtelier, d’une voix cassée qui trahit sa honte et ses balafres psychologiques.

Les rôles se sont inversés au sein du couple et c’est sa femme, dont il évite de prononcer le prénom, qui avait pris les commandes.

“Je prenais soin du bébé et de la maison. Je me désocialisais doucement. Je n’avais le droit de voir ni mes amis ni ma famille. Elle programmait nos visites et nos sorties et je suivais sans rechigner. je me transformais peu à peu en larve”, raconte-t-il.

Chétif et au visage pâle, le jeune homme, qui voyait sa femme changer et devenir de plus en plus autoritaire et agressive, attribuait la situation à la crise financière et la pression qu’elle subissait pendant cette période de crise.

Leila continuait à s’emporter pour des futilités et sa violence verbale et physique montait d’un cran, selon cet ancien homme battu.

“Des coups, des objets qui volent et heurtent le mur, des cris saccadés marquait ses crises de colère indescriptibles et de plus en plus récurrentes, au point que je suis devenu la risée de l’immeuble”, se rappelle-t-il amèrement, en nous montrant des photos illustrant son cou zébré de traces de griffures et ses bras couverts de morsures.

Toujours traumatisé, ce jeune homme, auparavant joyeux et bon vivant, se demande pourquoi il ne pouvait pas répondre à la violence de sa femme. La question le taraude toujours.

“D’abord, il y a la surprise. Ensuite, la culpabilité de ne pas pouvoir nourrir ma famille. Et puis la peur, sans doute. Comment peut-on avoir peur de sa femme? Je perdais toute estime de moi”, déplore Ahmed avec un regard fuyant.

Il explique qu’il a non seulement été victime de violences conjugales, mais son identité d’homme, aux yeux des autres et même à ses propres yeux, a été profondément touchée. Selon lui, un homme battu dans notre société n’est pas un vrai homme.

“Le plus dur, c’était de ne pouvoir me confier à personne. La honte m’empêchait. Je me retrouvais seul face à ce cauchemar jusqu’au jour où mon grand frère a appris ce qu’il m’arrivait à travers un voisin. C’était enfin la délivrance!”, dit-il avec un sourire timide.

Originaire d’un petit patelin aux environs de Fès, Ahmed indique que la situation était inadmissible pour sa famille. Jugé mais aussitôt soutenu par ses frères et ses vieux parents, il décide enfin de mettre un terme à “ce mariage toxique” qui l’a anéanti.

“Leila n’a pas accepté mon départ”, affirme -t-il, ajoutant qu’elle ne cessait pas de l’appeler et de lui envoyer des textos pour le traiter de lâche ou d’ingrat, ou encore le menacer de ne plus voir son enfant.

“Je sais que je vais galérer pour rendre visite à mon enfant et que je devrai fréquenter les couloirs du tribunal pour acquérir mon droit, mais c’est mille fois mieux pour mon fils. Vaut mieux un père loin qu’un père battu et sans dignité!”, lance ce papa avec les larmes aux yeux.

La vie après? Les hommes ou femmes, victimes de violences conjugales, ont bien du mal à l’imaginer. Pourtant, elle est possible. Retrouver la paix, s’autoriser le bonheur, se projeter dans l’avenir, Ahmed y croit aujourd’hui