Casablanca – le12

C’est au tour des libraires de compter les pertes causées par l’ouragan «Covid-19», qui emporte sur son chemin jusque-là. Les incertitudes entourant l’actuelle rentrée des classes ôtent le sommeil à ces professionnels, qui misent énormément sur cette période de l’année pour ne pas mettre la clé sous le paillasson.

Au regard du manque d’engouement palpable sur le terrain et des perspectives peu reluisantes décrites par la plupart des tenants de ces commerces, la facture finale risque d’être salée tant en termes de chiffres d’affaires que de postes d’emploi pour l’ensemble de l’écosystème, qui englobe également maisons d’édition, papeteries, fournisseurs de fournitures scolaires, entre autres.

L’indécision du ministère de tutelle, la peur d’un nombre de parents d’envoyer leurs enfants à l’école, le refus d’autres d’acheter les fournitures avant de voir plus clair (présentiel ou distanciel), le passage au numérique dans certaines écoles sont autant de facteurs concourant à accentuer les désarrois des libraires, qui semblent seuls désarmés face à la tempête.

Pis encore, ils se retrouvent avec un stock de livres et de manuels non écoulés depuis l’an passé. Un passif alourdi par les changements de manuels pour certains niveaux et les problèmes financiers de familles impactées par la crise sanitaire, auxquelles il va falloir, à coup sûr, concéder des facilités de paiements.

Dans la célèbre librairie Omar Al Khayam de Casablanca, Khadija B., la maîtresse des lieux confirme à la MAP «la très grande baisse des ventes cette année par rapport aux exercices précédents». Chose qui engendre une «baisse très importante du chiffre d’affaires», dont un taux de 70% est réalisé grâce aux achats de la rentrée des classes, à travers la vente directe aux clients, les commandes en ligne ou la vente groupée aux écoles.

Abondant dans le même sens, Nourredine F., propriétaire de la librairie «Dar Al Karam», déclare sobrement que les opérations de vente et d’achat «étaient beaucoup plus importantes avec un engouement indéniable des parents qui affluaient en nombre dès le début du mois d’août».

Paradoxalement, alors qu’on a déjà entamé le mois de septembre, les employés de la librairie «attendent les listes de fournitures scolaires présentées par les parentes, dont la majorité préfère garder leurs enfants à la maison», relate-t-il, assurant qu’ils ne fondent pas beaucoup d’espoir sur la possibilité d’écouler ces stocks.

Malheur n’arrive jamais seul. Il a été constaté dans certaines écoles huppées de Casablanca le recours à l’utilisation de la version numérique des manuels scolaires, moins coûteux et plus pratique dans le cas d’une nouvelle décision de confinement obligatoire. Cela va faciliter l’enseignement à distance. Encore un manque à gagner pour les librairies, mais aussi pour les maisons d’édition et les importateurs de livres.

Pour Khadija B., il est impossible que cette tendance «puisse être généralisée sur le long terme, sinon ce sont toutes les maisons d’édition qui vont fermer, des milliers d’emplois qui vont s’évaporer et un coup financier fatal qui sera porté à tout le secteur».

Noureddine F. paraît moins inquiet de cette nouvelle tendance, en ce sens que «la situation actuelle et les moyens dont dispose le pays font que les manuels numériques ne sont pas la bonne résolution pour l’ensemble des élèves du royaume».

À juste titre, il convient pour les autorités de tutelle qu’il est presque impossible de doter tous les enfants des couches défavorisées de tablettes, afin d’accéder par exemple aux manuels numériques comme pour certaines écoles privées.

Cela dit, la mode des manuels numériques donne, d’ores et déjà, des sueurs froides à tous les professionnels du secteur qui, dans les circonstances actuelles et la difficulté de recevoir un soutien public, se passeront volontiers d’une menace existentielle d’une telle profondeur.

Dans une conjoncture normale, ils auraient pu percevoir d’un bon œil une réorganisation de l’écosystème pour mieux aborder le monde de demain, celui du tout-digital. Pour le moment, ils veulent juste sauver leur activité.