La série noire de la démolition des salles de cinéma de Kénitra se poursuit. Après Fantasio, Riad et Tanagra, c’est au tour du cinéma Atlas de subir le même triste sort. Le nom mythique et majestueux de cet édifice culturel, n’a pas empêché certains promoteurs immobiliers, peu respectueux de l’identité architecturale et culturelle de la cité des marguerites, d’actionner les pelleteuses et de transformer ce lieu de mémoire en champ de ruines.

Des initiatives ont été menées ces derniers temps par le tissu associatif de la ville afin de sauver ce qui pourrait l’être, mais l’avancée inexorable du béton et la spéculation  immobilière ont eu le dernier mot et mis fin aux espoirs de milliers de cinéphiles.  Mohamed Mokhtar, témoin d’un passé glorieux, souligne avec amertume qu’il fréquentait de manière régulière les salles de cinéma de la ville. «Vous ne pouvez pas imaginer, précise-t-il, le plaisir et la fascination qu’exerçaient sur nous le fait de voir des films dans ces salles obscures. Une forte émotion dont sont privés, malheureusement aujourd’hui, les cinéphiles de Kénitra, jeunes et moins jeunes»,  conclut-il, en substance.

Dans une déclaration au «Matin», Abedelkhalek Belarabi, président de la Fédération nationale des ciné-clubs du Maroc, proteste de manière vigoureuse contre ce phénomène de démolition des salles de cinéma et exprime son regret que les provinces de Kénitra, de Sidi Kacem et de Sidi Slmane ne disposent plus d’aucune salle de projection. Il impute la responsabilité aux communes qui délivrent avec une facilité déconcertante les autorisations de démolition de ces lieux de culture et de divertissement. Il reproche, par ailleurs, la passivité des autorités de tutelle, en l’occurrence le ministère de la Culture et le Centre cinématographique marocain (CCM) qui n’agissent pas en amont pour arrêter ce qu’il considère comme une hécatombe.

Face à cette situation que d’aucuns n’hésitent à qualifier de regrettable, la capitale du Gharb, qui compte près de 500.000 habitants, ne dispose actuellement que d’un centre culturel de près de 250 places qui ne répond pas aux normes minimales de projection de films. De ce fait, les passionnés des salles obscures de Kénitra sont obligés de se déplacer à Rabat ou à Casablanca pour regarder un film. Selon plusieurs témoignages, les cinéphiles de Kénitra constituent la grande majorité du public qui fréquente les cinémas de la capitale. Une réalité qui met à mal les faux arguments de certains opérateurs économiques qui considèrent, à tort, que les salles de cinéma ne sont pas rentables. En termes commerciaux, la clientèle existe en grand nombre, il suffit de créer les conditions propices pour l’accueillir. 

Il est à rappeler que la ville de Kénitra disposait, il y a quelques années, de six salles de cinéma, dont la répartition géographique répondait aux besoins d’un public passionné du septième art. Aujourd’hui, il ne reste plus que la salle «Tihad» condamnée à disparaître et le dernier espoir, qui ne cesse de s’amenuiser au fil du temps, réside dans la préservation du cinéma «Palace», sauvée in extrémis grâce au militantisme d’associations culturelles et qui a été inscrite sur la liste du patrimoine culturel par le ministère de la Culture.

Le comble de l’ironie est que le phénomène de fermeture et de démolition des salles obscures intervient à un moment où la production cinématographique nationale est en plein essor. Le phénomène de disparition des salles de cinéma ne concerne pas uniquement la ville de Kénitra, mais s’étend à l’ensemble des villes de la région du Gharb. Les salles de cinéma de Sidi Kacem, de Sidi Slimane, de Souk El Arba et de Mechrâa Belksiri ont été remplacées par des immeubles et des surfaces commerciales. Au lieu d’encourager la culture et l’art pour l’épanouissement individuel et collectif, on bétonne les villes et les esprits. 

* DRISS LYAKOUBI (le Matin)