Casablanca – le12
Le Vice-Président de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) et Président de la Commission TPE-PME, Mohamed Talal, a accordé une interview à la MAP dans laquelle il analyse la situation de la PME marocaine dans le contexte de la crise sanitaire liée à la pandémie de la Covid-19 ainsi que les principaux maux qui plombent sa performance et sa contribution au développement économique et social du pays.
1- De par sa taille, la PME est très sensible à l’environnement dans lequel elle opère. En tant que président de la Commission TPE-PME à la CGEM, quel regard portez-vous sur la situation de la PME marocaine dans le contexte du Covid-19 et à la lumière du durcissement dans certaines villes, des mesures restrictives qui impactent fortement la relance de l’activité économique?
La situation épidémiologique nationale reste inquiétante au vu de l’augmentation du nombre de cas positifs. Il est à rappeler que le respect des mesures sanitaires et des gestes barrières est une responsabilité collective pour limiter la propagation du virus et ainsi, éviter un éventuel retour à un confinement qui serait dramatique pour notre économie, et surtout pour la TPME.
En effet, la TPME marocaine est très sensible à son environnement (endogène et exogène), et le Covid-19 aura mis à rude épreuve la résilience de nombreux secteurs d’activité, où les TPME restent les premières exposées.
Les travaux du CVE où siège la CGEM, auront permis d’apporter des solutions concrètes et immédiates à savoir des produits de trésorerie tels que “Damane Oxygène” ou “Damane Relance”, ainsi que le report des échéances fiscales, sociales, financières..
Aujourd’hui, nous ne serons plus pris par surprise par ce virus, puisque nous vivons avec depuis plusieurs mois. La CGEM et les pouvoirs publics travaillent de concert pour apporter d’autres solutions aux problématiques connues et à venir.
Les TPME, elles mêmes, sont en recherche de nouveaux points de stabilité. En effet, chaque TPME trace sa feuille de route et se doit de la réactualiser très régulièrement dans un contexte mondialisé où les barycentres de production et commerciaux vont commencer à se déplacer. Le tout, avec son lot de “barrières non tarifaires” (par exemple export décarboné), et de politiques individualistes construites sur la “préférence nationale” des Etats ou des régions (Europe).
Aujourd’hui, les mécanismes de la relance économique et sociale sont annoncés et en cours de déploiement par les pouvoirs publics en concertation avec la CGEM et les partenaires sociaux, notamment avec la signature du Pacte de la Relance économique et de l’Emploi, qui engage l’ensemble des parties prenantes pour réussir cette relance.
Aussi, de nombreux ministères tels que le ministère de l’Industrie et du Commerce ont repensé le modèle de développement économique du pays en donnant une place de choix à la R&D et à la production au Maroc de nouveaux produits qui étaient jusqu’alors importés. Aussi, au vu de la contraction des marchés, tout le monde se prépare à une guerre économique et commerciale qui s’annonce d’ores et déjà très rude.
2- Quelles sont les principales difficultés auxquelles fait face actuellement la PME marocaine ?
Dans le contexte présent, la PME nationale est fortement impactée et ce, à plusieurs niveaux:
Pour commencer, au niveau de sa trésorerie, si Damane Oxygène et Damane Relance ont apporté des solutions courts-termes, il n’en demeure pas moins que cela reste de la dette qui vient grever les ratios financiers de l’entreprise et par conséquent, augmenter sa fragilité et sa capacité d’endettement futur pour investissement.
Pour apporter une solution long terme, la CGEM par la voix de son Président, M. Chakib ALJ, porte le projet de mettre en place des dettes mezzanines (long terme) adressées aux TPME, ce qui permettrait très certainement de soulager les entreprises et améliorer leur compétitivité en vue d’affronter une concurrence internationale qui sera très certainement brutale.
Aussi, comme nous le prônions au sein de notre Confédération, nous saluons le nouveau statut de la CCG, qui se transformera en une forme de banque d’investissement plus à même de répondre aux spécificités de la TPME, notamment par des produits de garanties, d’assurances et d’accompagnement à l’image de BPI France.
Les délais de paiement restent également un sujet épineux dont l’impact ira au delà de la période de pandémie. En effet, nous assistons déjà à un allongement des délais. Par conséquent, la TPME va resserrer ses conditions commerciales au détriment du développement ou de l’investissement. Là encore, la CGEM avance sur ce dossier pour que soient mises en place des sanctions pécuniaires pour tout retard dans les paiements de ses créances.
Sur le plan social, de nombreuses entreprises se trouvent confrontées à des pertes totales ou partielles d’activité, ou tout simplement doivent se reconvertir sur de nouveaux produits ou marchés. Ces mêmes TPME restent avec des risques et des coûts sociaux fixes élevés – en cas de redimensionnement des effectifs, de redéploiement ou tout simplement de reconversion pour monter en expertises ou en compétences. Pour cela, la CGEM, dans le cadre du dialogue social avec notamment les partenaires sociaux, espère que des solutions urgentes et concrètes seront apportées, notamment par la flexibilité de l’emploi, le droit de grève, mais aussi la couverture des salariés grâce à “l’indemnité perte d’emploi” que la CGEM propose de réaménager.
Bien entendu, le volet formation devra avoir une place de choix en vue d’offrir de nouvelles opportunités de carrières aux salariés dans un marché qui entre de plain pied dans le monde du digital 4.0 et où les TPME sont en recherche de nouveaux marchés (l’instinct de survie).
Pour les PME industrielles, la situation est encore plus difficile au regard des mutations que connaissent les marchés à l’international et les mesures de protectionnisme qui s’opèrent dans les pays partenaires pour protéger leurs entreprises nationales. Les économies de par le monde ont injecté des sommes colossales dans leurs tissus économiques, ce qui ne manquera pas de créer des distorsions de compétitivité entre les entreprises des différentes économies.
Il est urgent aujourd’hui non seulement de se pencher sur les ALE à la lumière des impacts de cette pandémie sur les stratégies économiques des Etats et des régions, mais également d’analyser les dérives actuelles et à venir, conformément aux accords de l’OMC. Il faut aussi mettre en place les instances de veille économique et commerciale, pour une “Intelligence Économique” offensive au vu des batailles qui nous attendent sur la scène économique internationale.
3- Les actions menées jusqu’à présent par l’Etat suffisent-elles à elles seules à assurer la survie de la PME marocaine en cette conjoncture difficile où faudra-t-il encore actionner d’autres leviers de soutien ?
À la CGEM, nous pensons que chacun des acteurs doit jouer son rôle: secteur privé, pouvoirs publics et partenaires sociaux.
L’entreprise ne peut se relâcher et ne compter que sur des aides et soutiens. Oui pour les aides mais dans un objectif précis et pour palier à des situations critiques, d’urgences, d’accompagnement ou de souveraineté de l’Etat.
Les entreprises doivent également travailler pour penser les nouveaux marchés de demain, au vu des relocalisations de productions, mais aussi des nouveaux besoins de consommation. Nombre d’entre elles devront se reconvertir dans de nouveaux métiers, des marchés seront très certainement gagnés mais bien d’autres seront perdus. Un nouveau point d’équilibre sera aussi trouvé par de nombreux secteurs d’activités. Par exemple, le tourisme avec son écosystème a été, est et sera encore très impacté. C’est un secteur qui a besoin de soutiens à court et moyen terme, mais également d’accompagnement pour la reconquête des marchés en sortie de crise.
Nous saluons l’ensemble des efforts consentis par les pouvoirs publics et les banques de la place qui se sont mobilisés pour limiter l’impact de cette crise sur les entreprises et ce, dès le début de la crise sanitaire.
Aussi, au vu de la typologie des TPME marocaines, et de leur structure bilantielle qui parfois ne répond pas aux exigences d’éligibilité, nous pensons que la relance par la consommation serait une des solutions à mettre en place. Au delà des aspects fiscaux qui répondraient à cette proposition, il y a lieu d’accompagner différents secteurs d’activité pour relancer la consommation (immobilier, tourisme, etc…).
D’autres mesures de relance ont été annoncées par Sa Majesté le Roi que Dieu l’assiste, et qui sont en cours de déploiement – l’injection des 120 MMDH dans l’économie nationale, le Fonds d’Investissement Stratégique (FIS) qui viendra soutenir les entreprises sous-capitalisées, la distribution de crédits de relance à l’échelle nationale ainsi que les mesures sociales.